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Jeunes camarades khmers rouges, victimes avant d’être bourreaux


Beaucoup d’anciens khmers rouges se définissent aujourd'hui comme victimes. Refuser de rejoindre le mouvement Khmer Rouge signifiait de facto, la mort. Sa propre mort mais également celle de sa famille. La problématique est d’autant plus difficile dans le cas des « jeunes camarades », ces enfants soldats enrôlés et endoctrinés dès leur plus jeune âge. Des études montrent que les bourreaux souffrent souvent des mêmes symptômes que leurs victimes. Dans l’ouvrage  « Victims and Perpetrators » du DC-Cam, d’anciens jeunes soldats khmers rouges témoignent de la peur dans laquelle ils ont vécu pendant le régime, de 1975 à 1979.

Mêmes symptômes post traumatiques


Comme l’explique Sorya Sim, responsable du département de recherche du DC-Cam et auteur de « Victims and Perpetrators », de nombreuses études ont été faites sur la psychologie des survivants de génocide, mais peu sur celle des bourreaux.
Les études ont montré que les victimes survivantes peuvent présenter de nombreux problèmes psychologiques tels que la dépression, des cauchemars récurrents, des troubles de la concentration ou du sommeil. Tous ces symptômes peuvent être diagnostiqués comme « Post Traumatic Stress Disorder ».
Bien qu’aucune étude scientifique n’ait été conduite auprès des bourreaux, Sorya Sim s’est rendu compte, en interviewant d’anciens jeunes soldats khmers rouges, qu’ils présentaient des symptômes similaires. Les « jeunes camarades KR » auraient eux aussi subi un traumatisme.

Utilisation des enfants, plus malléables


Les enfants, par leur innocence, étaient plus réceptifs à l’idéologie Khmer Rouge. Forcés à joindre le mouvement, ils étaient éloignés de leurs parents dès l’âge de sept ans et endoctrinés. N’ayant pas encore développé de systèmes de valeurs bien ancrés, il était plus facile de leur inculquer les valeurs de l’Angkar et d’en faire les instruments de la révolution. Les enfants cambodgiens étaient entraînés à suivre les ordres, aussi brutaux et cruels soient-ils. La rhétorique khmère rouge consistait à dire : « Pour établir une nouvelle société, nous avons besoin de nouvelles personnes » Comme l’explique Ben Kiernan,  « Le régime khmer rouge espérait utiliser les enfants comme base d’une nouvelle société sans mémoire ».

Un entrainement pouvant mener à la mort


Par le biais des témoignages des anciens khmers rouges, Sorya Sim montre dans son ouvrage les conditions de vie des enfants enrôlés dans l’armée khmère rouge, et les différentes étapes de leur vie de soldat.

Après avoir été enrôlés – de gré ou de force-, les jeunes soldats étaient éloignés de chez eux et envoyés à l’école d’entrainement militaire. Alors que ceux-ci avaient bénéficié jusque là d’avantages dû au statut de « camarade », leurs conditions de vie se détérioraient alors fortement: entraînement intensif jusqu’à l’épuisement, manque de nourriture, maladies liées à la malnutrition et punitions très dures pouvant même aller jusqu’à l’exécution.
Selon Sorya Sim, ils devenaient déjà des victimes du régime.

Education à la peur et culture de la dénonciation


Les enfants subissaient un endoctrinement intensif afin de devenir des instruments de la révolution. On leur apprenait à faire confiance au parti, qu’il fallait considérer comme ses vrais parents, et non à ses parents, qu’il fallait haïr.
A côté de cela, on les forçait à ne faire confiance à personne par le biais de réunions hebdomadaires où le jeune camarade devait confesser ses faiblesses et dénoncer les fautes de quatre de ses camarades. Cela créait une ambiance de terreur. « J’avais peur de tout le monde. Je ne faisais confiance à personne. Tout le monde faisait de son mieux pour trouver les fautes des autres. Je travaillais et vivais dans la peur et l’horreur », témoigne un ancien khmer rouge dans l’ouvrage du DC-Cam.

Un tiers des camarades de S-21 exécutés au cours de leur service


Après l’entraînement militaire, les enfants soldats étaient placés à différents postes : gardiens de prison, interrogateurs, éleveurs d’animaux ou encore d’autres travaux en rapport avec le centre de torture S-21. Les conditions de vie n’étaient pas meilleures. Aucun soldat n’était autorisé à rendre visite à sa famille. Des soldats « disparaissaient » régulièrement, ou alors étaient torturés puis exécutés sous prétexte d’appartenir à la CIA ou encore d’être proche d’un détenu…  La peur que « son tour arrive » paralysait complètement les soldats khmers rouges, qui s’efforçaient de suivre à la lettre les ordres d’un chef qui les terrorisait. « Les jeunes camarades de S21 essayaient de faire ce que les chefs leur ordonnaient de faire, mais ils le faisaient pour conserver leur propre vie », témoigne Peou, un ancien jeune khmer rouge. A peu près un tiers des camarades de S21 aurait été exécuté au cours de leur service.

Traumatisés, victimes de nombreux abus


Selon Sorya, les jeunes soldats khmers rouges ont ainsi subi de nombreuses formes d’abus : kidnapping, entrainement militaire brutal, manque de nourriture et de repos, isolation sociale presque totale, état régulier de maladie, quasi-emprisonnement, institutionnalisation de la torture et du meurtre,… C’est pourquoi, encore aujourd’hui, ils souffrent de problèmes psychologiques liés à leur traumatisme.
 
DELBROUCK Barbara

*Source:
 DC-CAM, Victims and Perpetrators, Testimony of Young Khmer Rouge Comrades, National Library of Cambodia cataloguing in Publication Data, 2001.

 LOCARD, HENRI,  « Le petit livre rouge » de Pol Pot, ou « Les paroles de l’Angkar », Ed. L’Harmattan, Paris, 1996.
 KIERNAN, BEN, in « Victims and Perpetrators », P242.