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Justice transitionnelle, où en est le Cambodge ?

Justice, Vérité, Mémoire, Réparations, Réformes : bilan


La justice transitionnelle* est une forme de justice adaptée aux sociétés qui se transforment après une période d’abus des droits de l’homme généralisé. Selon elle, il faut plus que la poursuite des criminels pour qu’une telle société puisse devenir démocratique.
Cette transition dépend de quatre autres facteurs : l’établissement de la vérité, les réparations envers les victimes, le travail de mémoire ainsi que la réforme de la société. Où en est le Cambodge ?

Justice


Un tribunal mixte a été mis en place pour juger les plus hauts responsables et les plus grands criminels Khmers Rouges. Néanmoins, seules cinq personnes, des hauts responsables, sont sur le banc des accusés. D’après Ong Thong Hoeung, rescapé du régime et témoin au procès, le co-procureur Robert Petit souhaiterait inculper dix autres personnes, des grands criminels. Mais le gouvernement refuse sous prétexte d’affaiblir la défense nationale, surtout dans le contexte actuel de tension au Preah Vihar avec la Thaïlande. Ces grands criminels sont en fait d’anciens généraux KR réhabilités à des postes de commandement dans l’armée cambodgienne. Le Cambodge aurait donc besoin de leur expérience!
En outre, le procès collectionne les retards. Pour certains, il y aurait une certaine connivence du gouvernement, qui ne souhaite pas que les accusés soient jugés. Ceux-ci étant vieux et malades, le temps joue en leur faveur.
Les responsables de petite échelle, eux, ne seront pas du tout inquiétés, en faveur de la réconciliation nationale.

L’établissement de la vérité


Seuls les plus hauts responsables et les plus grands criminels seront jugés par les CETC. Un procès à portée plus large aurait risqué de faire retomber le Cambodge dans l’instabilité et la guerre civile.
Cela laisse néanmoins une chape d’ombre sur les responsabilités de nombreuses personnes.
Certaines victimes sont obligées de côtoyer leurs anciens bourreaux, revenus au village, ou même réintégrés à des positions de pouvoir, que ce soit au niveau local, national ou militaire. En effet, un très grand nombre de Khmers Rouges ont été graciés et réintégrés au nom de la réconciliation nationale.
Absolument rien n’a été fait pour rétablir la vérité sur les responsabilités de chacun.

Le gouvernement d’Hun Sen a refusé l’établissement d’une commission vérité.
Ce type de commission a été mis en place après la fin des dictatures dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, notamment en Argentine et au Chili. Leur but n’est pas de juger les responsables, mais de rétablir la vérité, et donc empêcher toute négation des faits. La commission peut convoquer les responsables (mais donc pas les juger) et entendre les victimes. Elle rédige ensuite un rapport, qui peut être accompagné de recommandations pour remédier aux abus et prévenir leur récurrence.

Une autre réponse à ce problème aurait aussi pu être l’instauration de tribunaux communautaires  comme les « Gaçaça » au Rwanda. Les gaçaça sont des assemblées villageoises présidées par des anciens où chacun peut prendre la parole. A l’origine, ils permettaient de régler les différents de voisinage,… mais ils ont été réactivés pour régler la situation des centaines de milliers de personnes accusées d’avoir participé au génocide Rwandais.
Les hauts responsables et grands criminels sont jugés par le TPI Rwanda, mais trois autres catégories de responsables, de plus petite échelle, sont jugées par ces assemblées populaires villageoises, les peines pouvant aller de réparations financières à trente ans de prison.
Mais cette éventualité n’a jamais été abordée au Cambodge. Que ce soit simplement pour rétablir la vérité ou pour juger les responsables, une particularité de l’après génocide au Cambodge fait obstacle. Aucunes excuse n'a jamais été présentée. Aucun des faits n’a même jamais été reconnu par aucun des accusés, qui se dédouanent de toute responsabilité sous prétexte d’avoir suivi les ordres. Un discours que tiennent aussi les responsables de plus petite échelle. Une réconciliation au niveau local serait donc de toute façon difficile à ce point de vue là.

Réparations


L’ECCC est chargée des réparations, mais la question ne sera étudiée qu’après le procès. Il est en tout cas déjà établi qu’il n’y aura aucune réparation au niveau financier, ni au niveau individuel. Elles seront collectives et symboliques. Dans le règlement intérieur des CETC, quelques exemples de réparations possibles sont donnés : "la publication du jugement dans les journaux ou autre média aux frais du condamné, le financement d'une activité ou d'un service non lucratif au profit des victimes et d'autres formes appropriées et similaires de réparation"
Les ONG qui sensibilisent au procès doivent aussi expliquer aux villageois la vraie nature de ces « réparations ». Une réalité parfois dure à accepter alors que beaucoup ont tout perdu. Lors de forums publics, des villageois ont néanmoins formulé certaines revendications : La construction de stupas et l’établissement d’une journée de commémoration des victimes.

Travail de mémoire


Selon la justice transitionnelle, un effort collectif de mémoire des abus et atrocités passées peut contribuer à un futur plus démocratique, pacifique et juste. Celui-ci passe à la fois par les mémoriaux publics, les monuments et les musées.*

Plusieurs anciens lieux d’atrocités des Khmers Rouges sont devenus aujourd’hui lieux de mémoire.
L’ancien centre de Torture Tuol Sleng (S21) à Phnom Penh est aujourd’hui devenu un musée.
Les Killing Fields (charniers) de Choeung Enk, sont aussi devenus un lieu de commémoration. Des panneaux expliquent les lieux et la procédure des exécutions collectives. On peut aussi y voir les fosses collectives. Un énorme stupa a été construit, rempli d’ossements retrouvés sur les lieux.
Malgré tous ces lieux de recueillement, où se rendent surtout les touristes, la jeune génération est très peu au courant des événements qui ont eu lieu de 75 à 79, et qui ne figurent pas encore dans les manuels scolaires. Pour l’instant, la seule chose y figurant est : “ Du 25 au 27 avril 1975, les leaders KR ont tenu un congrès extraordinaire pour former une nouvelle constitution, et renommèrent le pays « Kampuchea Démocratique ». Un nouveau gouvernement du Kampuchea Démocratique, dirigé par Pol Pot, se mit en place après que des cambodgiens soient massacrés. »**
Néanmoins, cela pourrait changer. Le ministère de l’éducation a demandé l’aide du DC-Cam afin qu’il lui fournisse un texte sur les KR et d’autres matériaux éducatifs liés au génocide.
Le centre de recherche Dc-Cam est en effet chargé de collecter un maximum de documents sur les crimes et atrocités de la période Khmer Rouge. Cela avec deux objectifs : préserver l’histoire du régime KR pour les futures générations, mais aussi compiler et organiser l’information qui pourrait servir comme preuve potentielle pour la poursuite légale des crimes des Khmers Rouges.**
Le centre de ressources audiovisuelles Bophana Center, a aussi comme objectif la préservation de la mémoire, par la collecte d’un maximum de documents audiovisuels sur le passé cambodgien.  

Réformes démocratiques


Bien que le Cambodge soit devenu une démocratie pluraliste sous monarchie constitutionnelle depuis 93, il semble n’être pas beaucoup plus qu’une démocratie de façade.
La corruption est partout, que ce soit au niveau du procès KR, mais aussi des élections et des médias.
Un seul parti domine le Cambodge depuis 93 : le PPC, parti des anciens communistes. L’opposition est très faible et n’a quasiment aucun pouvoir.
Les quatre scrutins législatifs depuis 93 ont été entachés d’irrégularités, achats de vote, intimidations envers l’opposition…
La presse est florissante et la censure est interdite, mais dans les faits, la liberté de la presse est mise à mal par le politique, l’argent et la peur.
Par le pouvoir politique, qui possède de nombreux médias.
Par l’achat des journalistes au moyen de pots de vins, tellement courants qu’ils ne sont même plus considérés comme de la corruption.
Par la peur et les menaces, qu’elles soient physiques ou judiciaires. En effet, la diffamation a été partiellement dépénalisée en 2006, mais dans les faits, les journalistes peuvent toujours être poursuivis pour fausses informations, ce qui revient pratiquement au même.

 

DELBROUCK Barbara

*D’après l’ICTJ : International Center for Transitional Justice



**Selon le DC-Cam : Centre de documentation du Cambodge

 

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