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Cambodge, une démocratie de façade ?


Le Cambodge est-il sur la voie de la démocratie ? De 1975 à 1979, il fut soumis au  régime de terreur khmer rouge, qui perpétra un génocide, décimant un quart de la population.
Depuis 30 ans, le pays a fait du chemin. Un tribunal a été mis en place pour juger les Khmers Rouges. Depuis 93, des élections ont lieu tous les 5 ans. La presse est florissante.
Pourtant, le pays est encore loin de la démocratie. La corruption est présente partout, que ce soit au niveau des élections, du procès des leaders Khmer Rouge, ou encore de la presse.
Malgré un taux de croissance de 10%, le Cambodge ne démarre toujours pas, à la différence de ses voisins. 80% de la population vit avec moins de 2 $ par jour.
Le niveau d’éducation est catastrophique, ce qui bloque complètement toute avancée sociale de la population.

Le PPC, « Presqu’un parti unique ! »


En 93, après deux décennies de guerre civile, un génocide et deux ans sous tutelle de l’ONU, « l’Etat du Cambodge » est créé,ppc dans une tentative d’instaurer la démocratie. Il prend la forme d’une monarchie constitutionnelle  basée sur le bicaméralisme et le multipartisme.
Les députés de l’assemblée nationale sont élus tous les cinq ans au suffrage universel depuis 93, lors des premières élections organisées par l’ONU. Les royalistes emportent ce premier suffrage, mais sont obligés de partager le pouvoir avec le PPC, Parti du Peuple Cambodgien. Celui-ci est composé d’anciens communistes mis en place par les vietnamiens puis « convertis » à l’économie de marché. Depuis, le PPC remporte toutes les élections. Malgré des accusations d’intimidations, irrégularités, achats de vote,… le PPC d’Hun Sen est toujours au pouvoir et l’opposition est très faible. « C’est à l’image de tous les anciens pays communistes d’Europe centrale. Les anciens communistes se convertissent, puis contrôlent tout : l’économie, les polices, les militaires,… Tout en parlant d’ « élections libres ».  Mais ce sont toujours eux qui gagnent ! », explique Ong Thong Hoeung, rescapé du régime et spécialiste du Cambodge.
Lors des dernières élections en 2008, un rapport de l’UE a conclu à des améliorations, même si ces élections ne correspondent toujours pas aux standards occidentaux. Elle fait état d’utilisation à grande échelle des biens d’état par le PPC pour la distribution de dons et d’argent à des fins électorales, ce qui a mené entre autres à une vague de défection de l’opposition vers le PPC. En outre, la couverture médiatique a été largement en faveur du parti au pouvoir.

Liberté de la presse


Florissante et sans censure officielle, la presse cambodgienne est décrite comme parmi les plus libres de la région. Néanmoins, Reporter Sans Frontière l’a placé 126ème dans son classement mondial. Selon Licadho, une ONG cambodgienne pour les droits humains, « les médias sont contrôlés par la politique, l’argent et la peur »*
En effet, presque tous les médias cambodgiens sont alignés à un parti, la majorité l’étant au parti au pouvoir, le PPC. Celui-ci possède d’ailleurs toutes les télévisions. Seule la presse de langue étrangère préserve encore une certaine indépendance.
Un autre problème qui mine la presse est la corruption. Les journalistes sont tellement habitués à recevoir des pots de vin qu’ils ne les considèrent même plus comme tels. Le résultat est que la couverture médiatique est largement en faveur de ceux qui savent payer, c'est-à-dire le gouvernement et le CPP. Ce qui n’est pas sans les aider lors des élections.
Le troisième problème qui ronge la liberté de la presse au Cambodge est la peur. Les journalistes sont menacés physiquement, mais aussi de poursuites légales. Malgré la décriminalisation partielle de la diffamation en 2006, les journalistes risquent toujours la prison pour « désinformation » ainsi que des amendes (exorbitantes) pour diffamation. En mai 2007, la publication d’un rapport de « Global Witness »** sur la déforestation a provoqué la fermeture temporaire de Cambodge Soir, un journal cambodgien de langue française. Les trois journalistes à l’origine de la publication ont fait l’objet de pressions et de menaces de mort, et une dizaine de journalistes ont fini par perdre leur emploi.
Selon un sondage de Licadho auprès de 150 journalistes cambodgiens, 54% disent avoir déjà été menacés. Au moins neuf journalistes sont soupçonnés d’avoir été assassinés pour leur travail. Mais les responsables n’ont jamais été menés en justice.


Manque d’éducation : société bloquée mentalement, sociologiquement et économiquement


Le Cambodge est un pays riche, avec de nombreuses ressources*** et une croissance stable de 10%. Pourtant, il ne démarre pas. Selon Ong Thong Hoeung, cela est dû à l’état de l’éducation, qui est catastrophique. « L’enseignement primaire et secondaire est délabré à la campagne ! », lance-t-il. Au Cambodge, un quart de la population est illettrée.**** Selon l’Unesco, plus de la moitié des enfants sont exclus de l’école avant d’avoir atteint un niveau d’alphabétisation suffisant pour le conserver. travailLes infrastructures sont mauvaises et les familles ont de plus en plus de mal à financer la scolarisation de leurs enfants. Le gouvernement ne dépense d’ailleurs que 2% de son PIB pour les dépenses scolaires. A titre de comparaison, l’Europe de l’Ouest en dépense le double voire le triple.
Ong Thong Hoeung s’est rendu dans les campagnes cambodgiennes afin de réaliser un rapport pour le Parlement européen. Il a tenté d’élucider les raisons du blocage de l’économie cambodgienne, toujours cantonnée à l’industrie de confection. Historiquement en Asie du Sud-est, les pays commencent par développer leur industrie textile et ils profitent ensuite du capital pour se lancer dans d’autres domaines. Cela fait maintenant vingt ans que le Cambodge s’est lancé dans l’industrie textile, mais il ne passe toujours pas à un autre secteur.
Après avoir passé quelques mois dans les campagnes, Ong Thong Hoeung a constaté qu’il s’agissait d’un problème d’éducation. Aujourd’hui, ce sont majoritairement les filles qui partent en ville pour travailler dans l’industrie textile. A la différence des ouvriers singapouriens il y a quarante ans, qui avaient le niveau secondaire, la plupart des ouvrières cambodgiennes savent à peine lire et écrire. « Elles ne peuvent donc pas faire autre chose que ce qu’on leur demande de faire ! » conclut Ong.
Le milieu du bâtiment, qui occupe environ 20% de la population, connaît le même problème. En l’absence de travailleurs qualifiés cambodgiens, ces postes sont confiés à des vietnamiens, les cambodgiens étant relégués aux travaux physiques.
« Le Cambodge subit un deuxième génocide depuis 30 ans : un génocide culturel ! », s’insurge Ong.  « L’éducation et la formation sont capitales ! On ne pourra pas construire une démocratie avec des illettrés ! »

DELBROUCK Barbara

*Rapport de Licadho mai 2008 : "Reading Between the Lines: How Politics, Money & Fear Control Cambodia's Media" Report 2008 

**Global Witness est une ONG spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles (pétrole, bois, diamants) des pays en voie de développement et la corruption politique qui l’accompagne.

***Ressources du Cambodge: Minerai de fer, manganèse, phosphate, pierres précieuses, bois, eau, (possibilité d’énergie hydraulique), gaz et pétrole (récemment découvert)

****Taux d’alphabétisation du Cambodge: 73,6%  (2008) selon le CIA World Factbook