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Un procès qui s’est fait attendre…


Le 7 janvier 1979, Phnom Penh était « libérée » par l’armée vietnamienne.
Cet évènement marque le début de l’occupation vietnamienne mais surtout la chute du régime khmer rouge.
Aujourd’hui, trente ans après les faits, les responsables du massacre de millions de cambodgiens n’ont toujours pas du répondre de leurs actes devant la justice.
Selon les sources, le bilan des victimes s’étend de 1,7 à 2 millions d’individus.
Alors que les principaux responsables prennent de l’âge ou disparaissent, il est plus que temps que justice soit rendue. C’est la mission que se sont donnés les CETC, les « Chambres Extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ».

CETCLa mise en place d’un tribunal pour juger les leaders du « Kampuchéa démocratique » ne fut pas aisée. L’idée n’est pas neuve mais elle a pris beaucoup de temps avant de voir le jour.
En 1979, juste après la chute du régime, un tribunal spécial, le « Tribunal révolutionnaire du peuple »  avait été mis sur pied à Phnom Penh. Au terme de ce procès pour le moins expéditif, le tribunal avait alors déclaré les deux accusés (Pol Pot et Ieng Sary) coupables du crime de génocide. Néanmoins, jugés par contumace, aucun d’eux ne comparaîtra devant le tribunal ni ne purgera de peine.
Même si le régime khmer rouge s’achève officiellement en 1979, il faudra attendre 1998 et le décès de Pol Pot pour obtenir la reddition totale des « hommes en noir ».
Durant cette période où les combattants khmers rouges avaient pris le maquis, le Cambodge était toujours en proie à une guerre civile intestine. Un tribunal n’était pas envisageable.
A partir de 1998, le gouvernement cambodgien entame véritablement la reconstruction du pays. Après  trente ans de conflits, le pays est divisé et l’économie sinistrée. Le Cambodge redémarre à « l’an zéro. »

Cambodgien et international


Composé de factions différentes, dont d’anciens cadres khmers rouges, le régime en place souhaite une « réconciliation nationale » afin d’unir le pays. Mais il se rend vite compte qu’il ne peut organiser seul un tribunal d’une telle ampleur.
Afin de répondre aux attentes des victimes, le gouvernement cambodgien sollicite l’assistance des Nations Unies dans le but de mettre sur pied un procès officiel et reconnu par tous.
Dès le début, l’idée d’un tribunal mixte s’impose. Le gouvernement royal et l'ONU œuvrent ensemble à la mise en place d’un nouveau type de tribunal, à la fois national et international. La mise en place de ce nouveau modèle de tribunal nécessitera plusieurs années de travail.
Le projet est novateur, il n’y a donc pas d’exemple sur lequel s’appuyer. A l’instar des procès qui s’organisent dans d’autres pays, tels la Sierra Leone ou le Timor-Oriental, il faut créer une structure spécifique au pays, qui contente toutes les parties.

Obtenir un accord


Afin de parvenir à un accord, les Nations Unies sont revenues sur leurs demandes initiales.  Au vu du climat politique particulièrement explosif, le texte final d’accusation fut bien pesé. « Dans un souci de justice, de vérité et de réconciliation nationale, le gouvernement cambodgien et l'ONU ont décidé que le tribunal ne poursuivrait que les hauts dirigeants du Kampuchéa démocratique qui ont orchestré ces crimes graves et donné des ordres, ainsi que les principaux responsables de ces crimes ».
L’accusation sera limitée, dans un objectif de réconciliation nationale. Le terme de « génocide » ne sera pas employé. Il n’y aura pas de procès à titre posthume. Les « simples exécutants » ne seront pas inquiétés. Ne seront jugés que les faits commis entre 1975 et 1979, durant la période du régime khmer rouge.
Ces dispositions restrictives arrangent certains membres du gouvernement actuel, anciennement cadres sous le régime de Pol Pot.
Le roi Sihanouk, lui-même allié des Khmers Rouges après le coup d’état de Lon Nol, finira par abdiquer en faveur de son fils, le prince Norodom Sihamoni.

Démarrage laborieux


Après de longues négociations, portant sur le type d’accusation, l’organisation du tribunal et le financement, un accord est finalement signé. Les deux chambres cambodgiennes, puis le roi Sihanouk, promulguent enfin la loi autorisant la mise en place d’un tribunal cambodgien à composante internationale.
Au final, ce nouveau tribunal hybride, appelé « Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens » (CETC), ne deviendra pleinement opérationnel qu’en juin 2007.
Durant ces tractations, les principaux leaders de l’Angkar seront arrêtés afin de pouvoir être jugés. Mais le temps jouant en la faveur des accusés, d’autres responsables khmers rouges (notamment Ta Mok, Ke Pauk et Khieu Ponnary, l’épouse de Pol Pot) décèderont eux, en toute liberté.

Fonctionnement du tribunal


Le tribunal des CETC comporte deux degrés de juridiction : la Chambre de première instance et la Chambre de la Cour suprême. La première comprend 5 juges : 3 Cambodgiens et 2 internationaux. La seconde est composée de 7 juges : 4 natifs du pays et 3 étrangers.
Toutes les décisions seront rendues par les juges. Les jugements de la Chambre de première instance sont susceptibles d’appel devant la Chambre de la Cour suprême, qui est la juridiction la plus élevée. Les arrêts de la Cour suprême ne seront, eux, pas susceptibles d’appel.
A l’heure actuelle, cinq personnes, suspectées d’être des « responsables majeurs » sont mises en examen par les CETC.
Kaing Guek Eav, alias Duch. Directeur de S-21, est accusé pour crimes contre l’humanité.
Son instruction est en cours.
Viendra ensuite le tour de Nuon Chea. Président de l’assemblée nationale du Kampuchéa Démocratique, il sera jugé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Le troisième, Ieng Sary, est l’ancien ministre des affaires étrangères du Kampuchéa Démocratique, également accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Son épouse, Ieng Thirith est également sur le banc des accusés. Ministre des affaires sociales du Kampuchéa démocratique, elle sera poursuivie pour crimes contre l’humanité.
Le dernier accusé en date est Khieu Samphan, chef d’État du Kampuchéa Démocratique, accusé pour les mêmes faits.




A l’heure de la justice


Trente ans après la chute du régime, un tribunal solide est enfin sur pied. La justice peut faire son travail, au nom des millions de victimes du régime le plus terrible qu’ait connu le Cambodge. Créé dans une vision de réconciliation nationale, le tribunal khmer rouge ne saurait être parfait. Etant le fruit de compromis et d’accords politiques, il est d’ores et déjà critiqué pour ses nombreux retards, ses problèmes de financement ainsi que pour des scandales de corruption au sein du personnel.
Le tribunal n’est pas parfait, il reste néanmoins la seule issue possible pour qu’un jugement soit rendu et pour que la voix des victimes soit enfin entendue.
A l’heure actuelle, seuls cinq accusés sont sur le banc. La liste se rallongera peut être, de nombreux cadres khmers rouges étant encore en vie et connus des autorités.
Reste à savoir si on laissera la justice faire son travail. Ou bien si c’est le temps qui s’en chargera à sa place.

 

VOKAR Benjamin