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Duch, le tortionnaire, s’en sort bien

Benjamin Vokar - Publié dans Le Soir du 26 juillet 2010

Un ciel menaçant domine ce lundi les bâtiments imposants des « Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens » – un titre à rallonge pour ce que tout le monde désigne comme le « Tribunal khmer rouge ». La pluie fine ne freine pas le public venu en nombre pour assister au jugement de Kaing Guek Eav, alias Duch, son nom révolutionnaire. Des files de bonzes aux robes safran, des officiels onusiens, ainsi qu’une cohorte de journalistes étrangers, se mêlent au flot des spectateurs, témoins pour la plupart des années noires du Cambodge.


Aucune compensation financière


Après les préambules d’usage, le juge cambodgien Nil Nonn explique aux parties civiles qu’elles ne recevront pas de réparations financières. Les proches des disparus devront se contenter de la publication d’une compilation des remords exprimés par Duch. Ceux qui ont réussi à prouver leur lien de filiation avec les victimes auront leurs noms cités dans l’acte de jugement, seule forme de reconnaissance pour les souffrances endurées. Première surprise pour les parties civiles, première déception également.

Sur le coup de 11 h, la sentence tombe. Duch est reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et sera condamné en conséquence à 35 ans de prison ferme. L’accusation en avait demandé quarante alors que la défense avait plaidé pour la relaxe pure et simple. La réclusion criminelle à perpétuité avait déjà été exclue du fait de circonstances atténuantes, comme le climat de terreur qui régnait à l’époque, les remords et la coopération affichée par Duch durant le procès.

Agé aujourd’hui de 67 ans, l’ancien responsable Khmer rouge pourrait donc contre toute attente finir ses jours en liberté. Si la sentence officielle est de 35 ans, il faut retirer les onze années de détention préventive que Duch a déjà purgées. De plus, à titre d’excuse pour cet internement de longue durée jugé illégal, la Cour l’a gracié de cinq années supplémentaires. Au final, l’ancien cadre zélé ne devra plus purger « que » 19 ans avant son retour à la vie civile, à l’âge de 86 ans. S’il ne bénéficie pas d’ici là d’une réduction de peine… « Inexplicable ! Inacceptable ! », scande Theary Seng, dont les parents furent assassinés par les Khmers rouges. Bouleversée par un verdict qu’elle juge « indigne des victimes », l’auteur du livre Daughter of the Killing Fields (1) – La fille des champs de la mort – peine à trouver ses mots. Les familles des disparus sont pour la plupart dans le même état d’esprit, décontenancées par la clémence relative de la Cour. « Il mérite de rester en prison jusqu’à la fin de sa vie, il aura toujours plus de chance que ses victimes (…) Si on compare avec d’autres meurtriers jugés au Cambodge aujourd’hui il s’en sort vraiment bien », commente un membre des parties civiles.


Moins d’un jour par meurtre…


La comparaison est tentante. Même avec une peine de 30 ans de prison et en comptant que Duch a avoué avoir envoyé à la mort plus de douze mille détenus, il purgerait au total moins d’un jour de détention par victime…
Duc h est resté de marbre, totalement impassible, pendant la lecture du verdict. Difficile de savoir à quoi pensait réellement l’accusé à l’énoncé de la sentence. Il paraissait plus discret, moins confiant que lors des auditions où il se permettait de reprendre les experts et témoins, sa nature de chef reprenant finalement le dessus.

Responsable de la prison S-21 sous le régime de Pol Pot, Duch dirigeait d’une main de fer l’ancien lycée transformé en un sinistre centre de détention, formant les jeunes recrues révolutionnaires à devenir des bourreaux insensibles. Les détenus y subissaient différentes tortures destinées à arracher leurs aveux, avant d’être finalement transportés jusqu’à Choeung Ek, un charnier désormais tristement célèbre, pour y être exécutés. Duch précisa même lors des audiences qu’« en entrant au camp S-21, les prisonniers étaient déjà morts ».

Si aucune des parties n’interjette appel, les regards se tourneront alors vers un deuxième procès plus politique début 2011, qui jugera quatre anciens dirigeants du régime, également accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le Cambodge n’a pas fini d’affronter son passé, le procès des Khmers rouges ne fait que commencer.


(1) Daughter of the Killing Fields, Fusion Press London, 2005.


CONTEXTE


Le problème

Le Tribunal parrainé par l’ONU juge les Khmers rouges dans un pays toujours dirigé par d’anciens membres du régime. Parmi eux, le Premier ministre Hun Sen, qui prêche la « réconciliation nationale ».
L’enjeu
Les procès doivent mettre en lumière cette partie sombre de l’histoire nationale, où un quart de la population fut massacrée (1,7 à 2 millions de morts).
A suivre
Duch sera à nouveau entendu dans un deuxième procès, début 2011. Il sera alors rejoint sur le banc des accusés par quatre « têtes pensantes » du régime.


BENJAMIN VOKAR

 

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