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Pas aux normes de la définition de 48


Selon la définition officielle de l’ONU, le génocide relève de crimes commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Les massacres commis dans l’intention de détruire des groupes politiques, sociaux ou économiques ne peuvent donc pas être considérés comme des génocides.
C’est dans cette optique que les massacres commis sous le Kampuchéa démocratique ne sont pas reconnus comme un génocide au niveau du droit international.
Un quart de la population a été assassinée pour son appartenance, non pas au groupe national khmer, mais à des groupes économiques, politiques et sociaux : opposants au régime,  citadins, riches, intellectuels…
Il s’agirait donc ici de « politicide »  et non de « génocide ». Néanmoins, deux bémols peuvent être apportés à cette vision.

Premièrement, la définition de génocide, qui date d’il y a soixante ans, est imparfaite et mériterait d’être remise à jour. Créée dans la foulée du génocide arménien et de la Shoah, elle est à la fois trop et trop peu restrictive.
Deuxièmement, il n’est pas établi que les massacres du régime khmer Rouge n’ont été perpétrés que sur base d’une division purement sociale, économique ou politique de la population. De nombreux chercheurs dans le domaine mettent en cause cette vision, estimant que la machine de mort KR s’est basée sur une division de la population à la fois raciale et idéologique. De plus, ils rappellent le projet racial d’épuration ethnique des minorités religieuses, ethniques et nationales. (musulmans Cham, moines bouddhistes, chrétiens, Vietnamiens et Chinois)

Mais l’ONU n’est pas le seul à avoir formulé une définition du génocide. Par exemple, dans le code pénal français de 1992, le crime de génocide est défini comme « visant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ».
Selon Soko Phay Vakalis, dans « déni et justice », cette définition « rend mieux compte de l’évolution des crimes de masse à caractère génocidaire du XXe siècle. »
Il en conclut : « Les régimes génocidaires tentent d’essentialiser celui qui est perçu comme un ennemi, réel ou fantasmé. On tue les gens pour ce qu’ils sont davantage que pour ce qu’ils font. »

Division de la population - « L’obsession raciale » de Pol Pot


La base de l’idéologie khmère rouge a été la division du peuple en deux groupes. Le peuple de base, peuple khmer des zones rurales, jugé ethniquement pur, et le peuple nouveau, urbanisé et pollué par le contact des idées étrangères.
Selon Ben Kiernan, cette distinction fondamentale ignore les catégories sociales, et est très différente des distinctions marxistes-léninistes (ouvrier, bourgeois,…)
Selon lui, à cette division s’ajoutait aussi une hiérarchie à la fois raciale et idéologique en trois groupes.
Premièrement, les déchus. Composé des membres de l’ancien régime de Lon Nol et des minorités nationales, ce groupe est destiné à être éliminé.
Deuxièmement, les candidats. Il s’agit essentiellement de citadins. Appelé « Peuple Nouveau », ce groupe doit se racheter en prouvant qu’il se lave de toute influence extérieure. Il est envoyé dans des camps de rééducation, où la plupart mourront de faim et d’épuisement physique.
Troisièmement, les pleins-droits : le peuple de base des zones rurales, à l’exclusion des minorités nationales rurales qui sont des « victimes désignées d’un processus d’éradication ». Selon lui, les Khmers Rouges avaient bien « un projet racial d’épuration ethnique. »
Kiernan explique : « l’idéologie et l’ethnique se mêlent sans cesse, et la liquidation des opposants et dissidents politiques se fera au nom d’un slogan aux forts accents d’ethnocide : « un esprit vietnamien dans un corps khmer ».
Il conclut que c’est l’obsession raciale chez Pol Pot, conjuguée au crédo stalino-maoïste, qui a mené au génocide.

 « Hérédité de classe » inventée par les Khmers Rouges


Soko Phay Vakalis propose une autre manière d’aborder ce problème en revenant aux sources du concept.
Dans la Grèce Antique, le terme  « genos » contient aussi l’idée du lignage commun partagé par les familles.
Dans cette optique, il y aurait donc génocide lorsqu’il y a atteinte et exécution méthodique d’une même lignée, même si les raisons invoquées sont autres. Or, l’Angkar éliminait non seulement un coupable (ou du moins supposé) mais aussi son épouse, ses descendants, voire son réseau familial ! On pouvait entendre des slogans tels que « couper un mauvais plant ne suffit pas, il faut déraciner ». Les enfants étaient considérés comme dangereux jusqu’à la troisième génération, et étaient tués ou jetés en prison sous prétexte « qu’ils avaient hérité du même gêne » ! Vakalis pose la question : « Les Khmers Rouges n’ont-ils pas alors inventé de toute pièce une hérédité de classe » ?

                                                   
DELBROUCK Barbara

 
 
*Sources

 « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide »  de l’ONU, 1ère définition officielle datant de 1948.

KIERNAN, BEN, « Sur la notion de génocide », Le Débat (Paris), mars-avril 1999

 SOKO PHAY, VAKALIS,  « Le génocide cambodgien : déni et justice », Etudes, N°152, 2008

 

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